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Alendi n’a jamais été le Héros des Siècles. Dans le meilleur des cas, j’ai amplifié ses qualités, créant un Héros là où il n’y en avait aucun. Dans le pire, je crains que tout ce en quoi nous croyons n’ait été corrompu.

 

Description : 057

 

Autrefois, cet entrepôt contenait des armures et des épées, éparpillées à terre comme quelque trésor mythique. Sazed se rappelait l’avoir traversé en s’émerveillant des préparatifs que Kelsier avait mis au point sans alerter un seul membre de sa bande. Ces armes avaient équipé les rebelles le soir de la mort du Survivant, leur permettant de s’emparer de la ville.

Ces armes étaient à présent rangées dans des casiers et des armureries. À leur place, des individus désespérés et abattus se pelotonnaient dans les quelques couvertures qu’ils avaient pu se procurer. Il y avait très peu d’hommes, dont aucun n’était en mesure de se battre. Ceux qui l’étaient, Straff les avait contraints à rejoindre son armée. Quant aux autres – les faibles, les malades, les blessés –, il les avait laissés entrer à Luthadel en sachant qu’Elend ne les rejetterait pas.

Sazed évoluait parmi eux en leur offrant le maigre confort qu’il pouvait leur apporter. Ils n’avaient pas de meubles, et même les vêtements de rechange se faisaient rares dans cette ville. Les commerçants, comprenant que la chaleur serait d’une importance capitale lors de l’hiver imminent, avaient commencé à hausser le prix de toutes leurs marchandises, et non plus des seules denrées alimentaires.

Sazed s’agenouilla près d’une femme en pleurs.

— Calmez-vous, Genedere, lui dit-il, se rappelant son nom grâce à son cerveau de cuivre.

Elle secoua la tête. Elle avait perdu trois enfants lors de l’attaque des koloss, deux autres dans la fuite vers Luthadel. À présent, le dernier – le bébé qu’elle avait porté tout du long – était malade. Sazed lui prit l’enfant des bras, étudiant attentivement ses symptômes. Peu de changements depuis la veille.

— Est-ce qu’il y a de l’espoir, Maître Terrisien ? demanda Genedere.

Sazed baissa les yeux vers le bébé maigre aux yeux vitreux. Le pronostic n’était guère favorable. Comment pouvait-il lui dire une chose pareille ?

— Tant qu’il respire, il y en a, ma chère, répondit Sazed. Je vais demander au roi d’augmenter votre portion de nourriture – vous avez besoin de forces pour lui donner le sein. Vous devez le garder au chaud. Restez près des feux, et utilisez un linge humide pour faire couler de l’eau dans sa bouche même lorsqu’il ne mange pas. Il a grand besoin de liquide.

Genedere hocha la tête d’un air morne et lui reprit le bébé. Comme Sazed regrettait de ne pouvoir lui offrir plus. Une dizaine de religions différentes lui traversèrent l’esprit. Il avait passé sa vie entière à encourager les gens à croire en autre chose qu’au Seigneur Maître. Mais curieusement, il avait du mal à en préconiser une à Genedere en cet instant précis.

Tout était différent avant la Chute. Chaque fois qu’il parlait d’une religion, Sazed éprouvait alors un sentiment subtil de rébellion. Même si les gens n’acceptaient pas ses enseignements – et ils les acceptaient rarement –, ses paroles leur rappelaient qu’il avait autrefois existé d’autres croyances que les doctrines du Ministère d’Acier.

Il n’y avait désormais plus rien contre quoi se rebeller. Face à la terrible douleur qu’il lisait dans les yeux de Genedere, il lui était difficile de parler de religions éteintes et de dieux oubliés depuis longtemps. L’ésotérisme n’apaiserait pas la douleur de cette femme.

Sazed se leva pour passer au groupe suivant.

— Sazed ?

Il se retourna. Il n’avait pas vu Tindwyl pénétrer dans l’entrepôt. Les portes du grand édifice étaient fermées pour tenir à distance la nuit imminente, et les feux diffusaient une lumière irrégulière. On avait percé des trous dans le toit pour laisser sortir la fumée ; en levant les yeux, on voyait des volutes s’infiltrer dans la pièce, même si elles s’évaporaient avant d’avoir parcouru la moitié de la distance entre toit et sol.

Mais les réfugiés levaient rarement les yeux.

— Vous avez passé presque toute la journée ici, déclara Tindwyl.

Il régnait dans la pièce un silence étonnant, compte tenu de son occupation. Les feux crépitaient et les gens gisaient en silence, tout à leur douleur et à leur engourdissement.

— Il y a de nombreux blessés, déclara Sazed. Je suis la personne la plus à même de m’occuper d’eux, je crois. Je ne suis pas seul – le roi en a envoyé d’autres, et lord Brise est ici. Pour apaiser le désespoir du peuple.

Sazed désigna, sur le côté, Brise assis sur une chaise, qui feignait de lire un livre. Il paraissait affreusement peu à sa place dans cette salle, vêtu de son élégant costume trois-pièces. Pourtant, sa seule présence disait quelque chose de remarquable aux yeux de Sazed.

Ces pauvres gens, songea-t-il. Ils ont vécu des vies atroces sous le règne du Seigneur Maître. À présent, même le peu qu’ils possédaient leur a été repris. Et ils n’étaient qu’un nombre minuscule – quatre cents, comparés aux centaines de milliers qui vivaient encore à Luthadel.

Que se produirait-il quand les réserves finales de nourriture s’épuiseraient ? Les rumeurs circulaient concernant les puits empoisonnés, et Sazed venait d’apprendre que leurs réserves de nourriture avaient été sabotées elles aussi. Qu’adviendrait-il de ces gens ? Combien de temps le siège pourrait-il se poursuivre ?

En fait, que se produirait-il quand ce siège prendrait fin ? Quand les armées commenceraient enfin à attaquer et à piller ? Quels ravages, quelle douleur, les soldats causeraient-ils dans leur quête de l’atium caché ?

— Vous vous souciez réellement d’eux, commenta doucement Tindwyl en s’approchant de lui.

Sazed se tourna vers elle. Puis baissa les yeux.

— Pas autant que je le devrais, peut-être.

— Non, répondit Tindwyl. Je le vois. Vous m’embrouillez, Sazed.

— Je semble être très doué en ce domaine.

— Vous paraissez fatigué. Où est votre cerveau de bronze ?

Soudain, Sazed ressentit cet épuisement. Il l’avait ignoré jusque-là, mais les paroles de Tindwyl semblèrent le faire ressurgir et déferler sur lui comme une vague.

Il soupira.

— J’ai utilisé l’essentiel de ma réserve d’éveil lors de ma course vers Luthadel. J’étais tellement impatient d’arriver ici…

Ses recherches avaient souffert récemment. Entre les problèmes survenus en ville et l’arrivée des réfugiés, il n’avait guère eu le temps de s’y consacrer. Par ailleurs, il avait déjà retranscrit le décalque. La poursuite de son travail nécessiterait des recherches approfondies dans d’autres ouvrages en quête d’indices. Il n’aurait sans doute même pas le temps de…

Il fronça les sourcils en remarquant l’étrange expression de Tindwyl.

— D’accord, dit-elle en soupirant. Montrez-le-moi.

— Vous montrer quoi ?

— Ce que vous avez trouvé, quoi que ça puisse bien être, répondit-elle. La découverte qui vous a poussé à traverser deux dominats en courant. Montrez-la-moi.

Soudain, tout parut s’alléger. Sa fatigue, son inquiétude, même sa douleur.

— J’aimerais beaucoup, répondit-il tout bas.

 

Encore du bon travail, se dit Brise, qui se félicita tout en regardant les deux Terrisiens quitter l’entrepôt.

La plupart des gens, même les nobles, se trompaient au sujet de l’Apaisement. Ils se le représentaient comme une sorte de contrôle mental, et même ceux qui connaissaient mieux le sujet le prenaient pour quelque chose d’affreusement invasif.

Brise ne l’avait jamais vu ainsi. L’Apaisement n’avait rien d’invasif. S’il l’était, alors l’interaction ordinaire avec une autre personne l’était tout autant. L’Apaisement, quand on s’y prenait bien, n’était pas davantage une violation de l’autre que le fait pour une femme de porter une robe décolletée ou de parler d’une voix autoritaire. Ces trois facteurs produisaient chez les gens des réactions communes, compréhensibles et – plus important – naturelles.

Prenez Sazed, par exemple. Qu’y avait-il d’« invasif » à diminuer sa fatigue, de sorte qu’il puisse mieux s’affairer à ses devoirs ? Qu’y avait-il de mal à apaiser sa douleur – très légèrement – afin de le rendre plus à même d’affronter la souffrance des autres ?

Tindwyl était un exemple encore meilleur. Certains auraient peut-être qualifié Brise de fourre-tout pour avoir apaisé son sens de la responsabilité, ainsi que sa déception, lorsqu’elle avait vu Sazed. Mais Brise n’avait pas créé les émotions que cette déception étouffait. Des émotions comme la curiosité. Le respect. L’amour.

Non, si l’Apaisement relevait du simple « contrôle mental », Tindwyl se serait détournée de Sazed dès qu’ils auraient tous deux quitté la zone d’influence de Brise. Mais Brise savait qu’elle n’en ferait rien. Une décision cruciale avait été prise, et Brise ne l’avait pas provoquée à sa place. L’instant se préparait depuis des semaines ; il se serait produit avec ou sans lui.

Il avait simplement contribué à ce qu’il se produise plus tôt.

Souriant pour lui-même, Brise consulta sa montre à gousset. Comme il disposait encore de quelques minutes, il se laissa aller sur sa chaise, diffusant une onde générale d’Apaisement pour amoindrir la douleur et le chagrin des gens. En se concentrant sur tant de personnes à la fois, il ne pouvait pas se montrer très précis ; certains se retrouveraient un peu engourdis sur un plan émotionnel car il exercerait sur eux une Poussée trop forte. Mais elle ferait du bien au groupe dans son ensemble.

Il ne lisait pas son livre ; en réalité, il ne comprenait pas comment Elend et les autres passaient tellement de temps à s’y plonger. Ces choses-là l’ennuyaient à mourir. Brise ne s’imaginait lire que s’il n’y avait personne à proximité. Au lieu de quoi il revint à ce qu’il faisait avant que Sazed attire son attention. Il étudia les réfugiés, s’efforçant de deviner ce qu’éprouvait chacun d’entre eux.

C’était l’autre grand malentendu concernant l’Apaisement. L’allomancie importait bien moins en soi que les dons d’observation. Effectivement, posséder un peu de subtilité avait son importance. Toutefois, l’Apaisement ne donnait pas à un allomancien la capacité de connaître les sentiments de quelqu’un. Ceux-là, Brise devait les deviner par lui-même.

Tout était une question de naturel. Même les skaa les moins expérimentés comprendraient qu’on les apaisait si des émotions inattendues se déchaînaient soudain en eux. La véritable subtilité, en matière d’Apaisement, consistait à encourager les émotions naturelles, et ce, en estompant soigneusement les autres émotions. Les gens étaient un tissu d’émotions ; en règle générale, ce qu’ils pensaient « ressentir » sur le moment ne se rapportait qu’à celles qui avaient le dessus en eux à ce moment précis.

Un Apaiseur attentif voyait ce qui se trouvait sous la surface. Il comprenait ce qu’éprouvait un homme, même quand ce dernier ne comprenait pas lui-même – ou ne reconnaissait pas – ces émotions. C’était le cas pour Sazed et Tindwyl.

Quel drôle de couple, ces deux-là, se dit Brise tout en apaisant distraitement l’un des skaa pour l’aider à se détendre tandis qu’il cherchait le sommeil. Le reste de la bande les croit ennemis. Mais la haine crée rarement une telle mesure d’amertume et de frustration. Non, ces deux émotions proviennent d’un ensemble de problèmes totalement différent.

Mais bien sûr, Sazed n’est-il pas censé être un eunuque ? Je me demande comment tout ça a pu se produire…

Ses spéculations s’interrompirent tandis que les portes de l’entrepôt s’ouvraient. Elend entra – malheureusement accompagné de Ham. Elend portait l’un de ses uniformes blancs, assorti de gants blancs et d’une épée. Le blanc était un symbole important ; avec toute la cendre et la suie qui recouvraient cette ville, un homme en blanc était un spectacle marquant. Il avait fallu créer les uniformes d’Elend à partir de tissus particuliers conçus pour résister à la cendre, et il était malgré tout nécessaire de les nettoyer chaque jour. Mais l’effet en valait la peine.

Brise agit aussitôt sur les émotions d’Elend pour le rendre moins fatigué, moins hésitant – quoique ce second point ne soit presque plus nécessaire. C’était en partie l’œuvre de la Terrisienne ; Brise avait été impressionné par sa capacité à modifier ce qu’éprouvaient les gens, compte tenu du fait qu’elle n’était pas douée d’allomancie.

Il se leva à l’approche des deux hommes. Les gens s’animaient dès qu’ils voyaient Elend, dont la présence leur apportait un espoir que Brise ne pouvait susciter à l’aide d’allomancie. Ils chuchotaient entre eux, désignant Elend comme « roi ».

— Brise, le salua Elend avec un hochement de tête. Sazed est ici.

— Il vient de partir, malheureusement, répondit Brise.

Elend parut distrait.

— Ah, tant pis, répondit-il. Je le trouverai plus tard. (Elend balaya la pièce du regard, une moue aux lèvres.) Ham, demain, je veux que vous rassembliez les marchands de vêtements de Kenton Street et que vous les emmeniez ici voir ceci.

— Ça ne va sans doute pas leur plaire, Elend, prévint Ham.

— J’espère bien, répondit Elend. Mais nous verrons ce qu’ils penseront de leurs prix une fois qu’ils auront visité cette pièce. Je peux comprendre le coût de la nourriture, compte tenu de sa rareté. Toutefois, il n’y a aucune raison, sinon la cupidité, de refuser des habits au peuple.

Ham acquiesça, mais Brise lisait une certaine réticence dans sa posture. Les autres comprenaient-ils l’étrange tendance de Ham à fuir le conflit ? Il aimait débattre avec ses amis, mais tirait rarement de véritables conclusions de ses réflexions philosophiques. Par ailleurs, il détestait du fond du cœur se battre avec des étrangers, un trait de caractère que Brise avait toujours trouvé curieux chez quelqu’un qu’on avait principalement embauché pour frapper les gens. Il apaisa légèrement Ham pour estomper son inquiétude de devoir affronter les marchands.

— Vous n’allez pas passer la nuit ici, dites-moi, Brise ? s’enquit Elend.

— Seigneur Maître, jamais de la vie ! répondit Brise. Mon cher, vous avez de la chance d’être arrivé à me faire venir. Très franchement, ce n’est pas un endroit pour un honnête homme. La saleté, l’atmosphère déprimante – et je ne parle même pas de l’odeur !

Ham fronça les sourcils.

— Brise, un de ces jours, il va falloir que tu apprennes à penser aux autres.

— Tant que je peux penser à eux de loin, Hammond, je serai ravi de me livrer à cette activité.

Ham secoua la tête.

— Tu es incorrigible.

— Alors vous rentrez au palais ? demanda Elend.

— Eh bien oui, en fait, répondit Brise en consultant sa montre à gousset.

— Avez-vous besoin qu’on vous raccompagne ?

— Je suis venu avec ma propre voiture.

Elend hocha la tête puis se tourna vers Ham, et tous deux repartirent par où ils étaient venus, tout en discutant de la prochaine rencontre d’Elend avec l’un des autres membres de l’Assemblée.

 

Brise pénétra dans le palais un peu plus tard. Il adressa un signe de tête aux gardes postés à la porte, apaisant leur fatigue mentale. Ils s’animèrent en réaction, scrutant les brumes avec une vigilance accrue. L’effet ne durerait guère, mais ce genre de petites touches était pour Brise une seconde nature.

Il se faisait tard, et peu de gens se trouvaient dans les couloirs. Il traversa les cuisines, exerçant une légère influence sur les filles de service pour les rendre d’humeur plus bavarde. Ainsi, la vaisselle passerait plus rapidement pour elles. Au-delà des cuisines, il trouva une petite salle de pierre éclairée par deux lampes ordinaires et meublée d’une petite table. C’était l’une des salles à manger solitaires du palais.

Clampin était assis dans un coin, sa jambe boiteuse étendue sur le banc. Il toisa Brise d’un air mauvais.

— Tu es en retard.

— Tu es en avance, répondit Brise, qui se glissa sur le banc face à lui.

— Ça revient au même, grommela Clampin.

Il y avait sur la table une seconde coupe ainsi qu’une bouteille de vin. Brise déboutonna son gilet, soupira tout bas, puis se versa à boire tout en s’installant avec les jambes relevées sur le banc.

Clampin but une gorgée de vin.

— Ton nuage est actif ? demanda Brise.

— Autour de toi ? Toujours.

Brise sourit, but une gorgée et se détendit. Bien qu’il ait rarement l’occasion désormais d’employer ses pouvoirs, Clampin était un Enfumeur. Lorsqu’il brûlait du cuivre, tous les pouvoirs des allomanciens étaient invisibles à ceux qui brûlaient du bronze. Mais plus important – du moins aux yeux de Brise –, brûler du cuivre immunisait Clampin contre toute forme d’allomancie émotionnelle.

— Je ne vois pas pourquoi ça te rend si heureux, dit Clampin. Je croyais que tu aimais jouer avec les émotions.

— En effet, répondit Brise.

— Dans ce cas, pourquoi tu viens boire avec moi tous les soirs ? rétorqua Clampin.

— Ma compagnie te dérange ?

Clampin ne répondit pas. Ce qui était plus ou moins sa manière de répondre que non. Brise mesura du regard le général bougon. La plupart des autres membres de la bande se tenaient à l’écart de Clampin ; Kelsier l’avait engagé au dernier moment, car le Nuage-de-cuivre qu’ils employaient d’habitude était mort.

— Tu sais quel effet ça fait, Clampin ? demanda Brise. D’être un Apaiseur ?

— Non.

— Ça te fournit un contrôle hors du commun. C’est une sensation formidable d’être capable d’influencer ton entourage, de toujours paraître avoir prise sur la façon dont les gens vont réagir.

— Ça a l’air formidable, commenta Clampin d’une voix neutre.

— Et pourtant, ça a de drôles d’effets. Je passe la majeure partie de mon temps à observer les gens – à les apaiser et à les pousser par petites touches. Ça m’a transformé. Je ne… regarde plus les gens de la même façon. C’est difficile d’être simplement ami avec quelqu’un quand tu le vois comme un sujet que tu peux influencer et changer.

— Alors c’est pour ça qu’on ne te voyait jamais avec des femmes, grommela Clampin.

Brise hocha la tête.

— Je ne peux plus m’en empêcher. J’influence toujours les émotions de tout le monde autour de moi. Et donc, quand une femme tombe amoureuse de moi…

Il aimait se dire qu’il n’était pas invasif. Mais comment pouvait-il se fier à quelqu’un qui disait l’aimer ? Était-ce à lui que cette personne réagissait, ou à son allomancie ?

Clampin remplit sa coupe.

— Tu es beaucoup plus idiot que tes actions ne le trahissent.

Brise sourit. Clampin était l’une des rares personnes totalement insensibles à son influence. L’allomancie émotionnelle ne pouvait fonctionner sur lui, et il se montrait toujours extrêmement franc vis-à-vis de ses émotions : tout le rendait grincheux. Le manipuler par des moyens autres qu’allomantiques s’était révélé une perte de temps.

Brise regarda le contenu de sa coupe.

— Le plus amusant, c’est que tu as failli ne pas rejoindre la bande à cause de moi.

— Fichus Apaiseurs, marmonna Clampin.

— Mais tu es immunisé contre nos pouvoirs.

— Contre votre allomancie, peut-être, répondit Clampin. Mais ce n’est pas la seule façon dont vous procédez. Un homme doit toujours se surveiller en présence d’Apaiseurs.

— Dans ce cas, pourquoi me laisses-tu te rejoindre chaque soir pour boire du vin ?

Clampin garda un moment le silence, et Brise crut presque qu’il n’allait pas répondre. Enfin, Clampin marmonna :

— Tu n’es pas aussi terrible que la plupart.

Brise but enfin une gorgée de vin.

— Je crois que c’est le compliment le plus honnête que j’aie jamais reçu.

— Ne le laisse pas te démolir, répondit Clampin.

— Oh, je crois qu’il est trop tard pour ça, dit Brise en remplissant sa coupe. Cette bande… le plan de Kell… s’en sont déjà largement chargés.

Clampin acquiesça.

— Qu’est-ce qui nous est arrivé, Clampin ? reprit Brise. J’ai rejoint Kell pour le défi. Je n’ai jamais su pourquoi tu l’avais fait, toi.

— L’argent.

Brise hocha la tête.

— Son plan est tombé à l’eau, son armée s’est fait détruire, mais on est restés. Ensuite, il est mort, et on est encore restés. Le royaume d’Elend est condamné, tu sais.

— On ne va pas survivre un mois de plus, approuva Clampin.

Il ne s’agissait pas là de simple pessimisme ; Brise connaissait assez bien les gens pour deviner quand ils étaient sérieux.

— Et pourtant, nous sommes là, dit Brise. J’ai passé la journée à aider les skaa à mieux supporter le massacre de leurs familles. Tu l’as passée à former des soldats qui vont – avec ou sans ton aide – à peine tenir quelques instants face à un ennemi déterminé. On suit un roi encore gamin qui ne paraît pas avoir le moindre début d’idée du pétrin dans lequel il se trouve. Pourquoi ça ?

Clampin secoua la tête.

— Kelsier. Il nous a donné une ville, et il nous a fait croire qu’on était responsables de sa protection.

— Mais nous ne sommes pas ce genre de personnes, répondit Brise. Nous sommes des voleurs et des arnaqueurs. Nous ne devrions pas nous en soucier. Enfin, je veux dire… J’en suis au point où j’apaise les filles de cuisine pour qu’elles travaillent le cœur plus léger ! Bientôt, je vais m’habiller en rose et distribuer des bouquets. Je pourrais sans doute me faire une belle somme aux mariages.

Clampin ricana. Puis leva sa coupe.

— Au Survivant, dit-il. Maudit soit-il pour nous avoir connus mieux qu’on ne se connaissait nous-mêmes.

Brise leva sa coupe à son tour.

— Maudit soit-il, répéta-t-il tout bas.

Ils se turent. Les conversations avec Clampin prenaient souvent une tournure… eh bien, silencieuse. Malgré tout, Brise éprouvait une satisfaction tranquille. L’Apaisement était formidable ; il faisait de lui ce qu’il était. Mais c’était aussi son travail. Même les oiseaux ne pouvaient voler en permanence.

— Te voilà.

Brise ouvrit brusquement les yeux. Allrianne se tenait à l’entrée de la pièce, juste au bord de la table. Elle portait du bleu pâle ; où s’était-elle procuré autant de robes ? Son maquillage était, bien entendu, impeccable – et elle portait un nœud dans les cheveux. Ces longs cheveux blonds – communs dans l’Occident mais presque introuvables dans le Dominat Central –, cette silhouette appétissante et pleine d’entrain…

Le désir s’épanouit aussitôt en lui. Non ! se dit Brise. Elle a la moitié de ton âge. Espèce de sale vieillard lubrique !

— Allrianne, lui dit-il, gêné, tu ne devrais pas être au lit ?

Elle leva les yeux au ciel et chassa ses jambes du banc pour s’asseoir près de lui.

— Il n’est que vingt et une heures, Brise. J’ai dix-huit ans, pas dix.

Pour ce que ça change, songea-t-il en détournant le regard d’elle, cherchant à se concentrer sur autre chose. Il savait qu’il aurait dû être plus fort, mais il ne fit rien lorsqu’elle se glissa tout près de lui et but une gorgée dans sa coupe.

Il soupira et lui passa un bras autour des épaules. Clampin se contenta de secouer la tête, une ombre de sourire aux lèvres.

 

— Eh bien, commenta Vin tout bas, voilà qui répond à une question.

— Maîtresse ? demanda OreSeur, assis face à elle, de l’autre côté de la table, dans la pièce obscure.

Grâce à ses oreilles d’allomancienne, elle entendait tout ce qui se passait dans la salle à manger voisine.

— Allrianne est une allomancienne, expliqua Vin.

— Vraiment ?

Vin hocha la tête.

— Elle exalte les émotions de Brise depuis son arrivée pour qu’il soit encore plus attiré par elle.

— On pourrait s’attendre à ce qu’il le remarque, commenta OreSeur.

— Effectivement, répondit Vin.

Elle n’aurait sans doute pas dû éprouver un tel amusement. Cette fille était peut-être une Fille-des-brumes – quoique l’idée d’imaginer cette greluche voler au cœur des brumes paraisse ridicule.

C’est sans doute exactement ce qu’elle veut que je pense, se dit Vin. Il faut que je me rappelle Kliss et Shan – en fin de compte, aucune d’entre elles n’était ce que je croyais.

— Brise ne doit pas croire que ses émotions sont artificielles, tout simplement, précisa Vin. Il doit déjà être attiré par elle.

OreSeur ferma la bouche et inclina la tête – version canine d’un froncement de sourcils.

— Je sais, acquiesça Vin. Mais au moins, on sait que ce n’est pas lui qui recourt à l’allomancie pour la séduire, elle. Quoi qu’il en soit, aucune importance. Clampin n’est pas le kandra.

— Comment pouvez-vous le savoir, Maîtresse ?

Vin hésita. Clampin activait toujours son cuivre en présence de Brise ; c’était l’une des rares occasions où il s’en servait. Malgré tout, il était difficile de déterminer si quelqu’un brûlait du cuivre. Après tout, si cette personne activait son métal, elle se masquait par défaut.

Mais Vin était capable de percer les nuages de cuivre. Elle percevait l’Exaltation exercée par Allrianne ; elle sentait même une vague cadence se dégageant de Clampin, la pulsation allomantique propre au cuivre, dont Vin supposait que très peu de gens, à part elle-même et le Seigneur Maître, l’avaient déjà entendue.

— Je le sais, c’est tout, dit Vin.

— Si vous le dites, Maîtresse, répondit OreSeur. Mais… n’aviez-vous pas déjà établi que Demoux était l’espion ?

— Je voulais vérifier quand même pour Clampin. Avant de faire quoi que ce soit de radical.

— Radical ?

Vin garda un moment le silence. Elle n’avait pas beaucoup de preuves, mais elle possédait son instinct – qui lui soufflait que Demoux était l’espion. L’allure furtive avec laquelle elle l’avait vu sortir l’autre soir… la logique évidente qui poussait à le choisir… tout se tenait.

Elle se leva. Les choses devenaient trop dangereuses, trop sensibles. Elle ne pouvait plus les ignorer.

— Venez, dit-elle en quittant la pièce. Il est temps de jeter Demoux en prison.

 

— Comment ça, vous l’avez perdu ? demanda Vin, qui se tenait devant la porte de la chambre de Demoux.

Le serviteur rougit.

— Je suis désolé, milady. Je l’ai surveillé, comme vous me l’avez demandé – mais il est sorti patrouiller. Est-ce que j’aurais dû le suivre ? Enfin, vous ne trouvez pas que ça aurait semblé suspect ?

Vin jura tout bas. Mais elle savait qu’elle n’était pas vraiment en droit de se mettre en colère. J’aurais dû en parler tout de suite à Ham, pensa-t-elle avec frustration.

— Milady, il y a quelques minutes à peine qu’il est parti, dit le serviteur.

Vin regarda OreSeur, puis s’élança le long du couloir. Dès qu’ils atteignirent une fenêtre, Vin bondit dans la nuit obscure, OreSeur à sa suite, pour se laisser tomber non loin de la cour.

La dernière fois, je l’ai vu revenir par la porte qui donne sur la cour, se rappela-t-elle tandis qu’elle courait à travers la brume. Elle y trouva deux soldats en train de monter la garde.

— Est-ce que le capitaine Demoux est passé par ici ? demanda-t-elle en jaillissant dans le cercle que dessinait la lueur de leurs torches.

Ils se redressèrent, d’abord stupéfaits, puis perplexes.

— Dame Héritière ? dit l’un d’eux. Oui, il vient de sortir pour sa patrouille, il y a une minute ou deux à peine.

— Tout seul ? demanda Vin.

Ils hochèrent la tête.

— Vous ne trouvez pas ça un peu curieux ?

Ils haussèrent les épaules.

— Parfois, il sort tout seul, répondit l’un d’entre eux. Nous ne posons pas de questions. C’est notre supérieur, après tout.

— Dans quelle direction ? s’enquit Vin.

L’un d’eux la désigna, et Vin s’élança, OreSeur sur les talons. J’aurais dû le surveiller plus attentivement. J’aurais dû engager de vrais espions pour le garder à l’œil. J’aurais dû…

Elle s’immobilisa. Devant elle, au cœur des brumes, une silhouette marchait le long d’une rue silencieuse pour se diriger vers la ville. Demoux.

Vin laissa tomber une pièce et se projeta dans les airs, loin au-dessus de sa tête, pour atterrir au sommet d’un bâtiment. Il continua son chemin, ignorant sa présence. Qu’il soit Demoux ou le kandra, il ne possédait pas de pouvoirs allomantiques.

Vin s’arrêta, prête à bondir, brandissant ses dagues. Cela dit… elle ne possédait toujours aucune preuve véritable. La partie d’elle que Kelsier avait transformée, celle qui avait appris la confiance, pensait au Demoux qu’elle connaissait.

Est-ce que je crois vraiment qu’il est le kandra ? se demanda-t-elle. Ou est-ce que je veux simplement que ce soit lui, pour ne pas devoir soupçonner mes vrais amis ?

En bas, il marchait toujours, et les oreilles de Vin, affinées par l’étain, distinguaient sans peine le bruit de ses pas. Derrière elle, OreSeur se hissa tant bien que mal sur le toit, puis vint s’asseoir près d’elle.

Je ne peux pas l’attaquer comme ça, comprit-elle. Il faut au moins que je l’observe pour voir où il se rend. Que j’aie des preuves. Peut-être apprendrait-elle des choses par la même occasion.

Elle fit signe à OreSeur, et ils filèrent discrètement Demoux le long des toits. Vin remarqua bientôt quelque chose de curieux – la lueur vacillante des flammes éclairant les brumes quelques rues plus loin, transformant les bâtiments en ombres inquiétantes. Vin suivit Demoux du regard tandis qu’il s’avançait le long d’une ruelle, en direction de la source lumineuse.

Qu’est-ce qui… ?

Elle se jeta au bas du toit. Il ne lui fallut que trois sauts pour atteindre la source de cette lumière. Un feu de taille modeste crépitait au centre d’une petite place. Des skaa se pelotonnaient tout autour en quête de chaleur, l’air quelque peu effrayé dans la brume. Vin s’étonna de les voir là. Elle n’avait pas vu de skaa sortir dans la brume depuis la nuit de la Chute.

Demoux approcha par une rue latérale et salua plusieurs des autres. À la lueur du feu, elle put confirmer sans le moindre doute qu’il s’agissait bien de lui – ou, du moins, d’un kandra arborant son visage.

Il devait y avoir dans les deux cents personnes sur cette place. Demoux fit mine de s’asseoir sur les pavés, mais quelqu’un s’approcha aussitôt de lui avec une chaise. Une jeune femme lui apporta une tasse d’un liquide fumant, qu’il accepta avec reconnaissance.

Vin bondit sur un toit, restant baissée pour éviter que la lueur du feu dévoile sa présence. D’autres skaa arrivèrent, en groupes pour la plupart, mais quelques individus plus courageux se présentaient seuls.

Un bruit retentit derrière Vin, qui se retourna alors qu’OreSeur – qui avait apparemment réussi le saut de justesse – se hissait péniblement du bord sur le toit lui-même. Il regarda la rue en dessous de lui, secoua la tête, puis la rejoignit. Elle porta un doigt à ses lèvres et désigna le groupe de personnes. OreSeur inclina la tête en voyant ce spectacle, mais ne répondit rien.

Enfin, Demoux se leva, la tasse toujours fumante entre les mains. Les gens se rassemblèrent autour de lui, assis sur les pavés froids, blottis sous des couvertures ou des capes.

— Nous ne devrions pas craindre les brumes, mes amis, déclara Demoux.

Ce n’était pas là la voix d’un puissant meneur ou d’un commandant autoritaire sur un champ de bataille – c’était celle d’un jeune homme endurci, un peu hésitante, mais impérieuse malgré tout.

— Le Survivant nous l’a enseigné, poursuivit-il. Je sais qu’il est très difficile de penser aux brumes sans se rappeler les récits sur les spectres des brumes ou autres atrocités. Mais le Survivant nous a donné les brumes. Nous devrions nous efforcer de nous souvenir de lui à travers elles.

Seigneur Maître…, songea Vin, choquée. Il en fait partie – c’est un membre de l’Église du Survivant ! Elle sentit sa résolution vaciller, ne sachant trop que penser. Était-il ou non le kandra ? Pourquoi le kandra irait-il à la rencontre d’un groupe comme celui-là ? Mais… pourquoi Demoux lui-même le ferait-il ?

— Je sais que c’est difficile, poursuivit-il, sans le Survivant. Je sais que vous craignez les armées. Croyez-moi, je le sais. Je les vois, moi aussi. Je sais que vous souffrez des effets de ce siège. Je… ne sais pas si je peux seulement vous dire de ne pas vous en faire. Le Survivant lui-même a traversé de grandes épreuves – la mort de son épouse, sa captivité aux Fosses de Hathsin. Mais il a survécu. C’est le plus important, non ? Nous devons continuer à vivre, quelles que soient les épreuves que nous aurons à affronter. Nous finirons par gagner. Tout comme il l’a fait.

Il se leva, sa tasse en main, sans ressembler le moins du monde aux prédicateurs skaa que Vin avait déjà vus. Kelsier avait choisi un homme passionné pour fonder sa religion – ou, plus précisément, pour créer la révolution qui lui avait donné naissance. Kelsier avait eu besoin de meneurs capables d’enflammer les partisans, de déchaîner en eux une fureur destructrice.

Demoux était différent. Loin de crier, il s’exprimait calmement. Et pourtant, les gens lui prêtaient attention. Assis autour de lui à même les pavés, ils levaient vers lui des yeux pleins d’espoir – et même d’adoration.

— Et la Dame Héritière ? chuchota l’un d’entre eux.

— Lady Vin porte une grande responsabilité, répondit Demoux. Il est aisé de voir comme ce poids la fait ployer, et quelle est sa frustration face aux problèmes de la ville. C’est une femme très droite, et je crois qu’elle n’aime pas beaucoup les manœuvres politiques de l’Assemblée.

— Mais elle va nous protéger, dites ? demanda l’un d’entre eux.

— Oui, répondit Demoux. Oui, je crois qu’elle va le faire. Parfois, je crois qu’elle est encore plus puissante que ne l’était le Survivant. Vous savez qu’il n’avait eu que deux ans pour s’entraîner à devenir Fils-des-brumes ? Elle n’a guère eu plus de temps.

Vin se détourna. On en revient toujours à ça, se dit-elle. Ils paraissent rationnels quand ils parlent de moi, et puis…

— Un jour, poursuivit Demoux, elle nous apportera la paix. L’héritière ramènera le soleil, empêchera la cendre de tomber. Mais nous allons devoir survivre jusque-là. Et nous battre. L’œuvre tout entière du Survivant consistait à s’assurer de la mort du Seigneur Maître et à nous libérer. Quelle gratitude lui témoignons-nous si nous prenons la fuite face à ces armées ?

» Allez dire à vos membres de l’Assemblée que vous ne voulez pas de lord Cett pour roi ni même de lord Penrod. Le vote aura lieu demain, et nous devons nous assurer que le bon candidat soit désigné. Le Survivant a choisi Elend Venture, et c’est lui que nous devons suivre.

Tiens, c’est nouveau, pensa Vin.

— Lord Elend est faible, répondit quelqu’un. Il ne nous défendra pas.

— Lady Vin l’aime, répliqua Demoux. Elle n’aimerait pas un faible. Penrod et Cett vous traitent comme on traitait autrefois les skaa, et c’est ce qui vous fait croire qu’ils sont forts. Mais ce n’est pas de la force : c’est de l’oppression. Nous devons nous montrer bien meilleurs ! Nous devons nous fier au jugement du Survivant !

Vin se détendit contre le bord du toit, tandis que sa tension se dissipait légèrement. Si Demoux était réellement l’espion, il n’allait pas lui fournir de preuves ce soir-là. Elle rangea donc ses couteaux, puis s’étendit les bras croisés au bord du toit. Le feu crépitait dans la froideur de l’air hivernal, dégageant des volutes de fumée qui allaient se mêler aux brumes, et Demoux continuait à discourir de sa voix calme et rassurante pour dispenser ses enseignements relatifs à Kelsier.

Ce n’est même pas vraiment une religion, se dit Vin tout en l’écoutant. La théologie est tellement simple – rien à voir avec les croyances complexes dont parle Sazed.

Demoux enseignait des concepts basiques. Il érigeait Kelsier au statut de modèle, parlait de survie et d’épreuves à surmonter. Vin comprenait en quoi ces mots si simples parlaient aux skaa. Le peuple n’avait en réalité que deux choix : se battre ou renoncer. L’enseignement de Demoux lui fournissait un prétexte pour continuer à vivre.

Les skaa n’avaient pas besoin de rituels, de prières ou de codes. Pas encore. Ils manquaient trop d’expérience avec la religion en général, ils en avaient trop peur, pour vouloir de ces choses-là. Mais plus elle écoutait, plus Vin comprenait l’Église du Survivant. C’était ce dont ils avaient besoin ; elle s’emparait de ce que les skaa connaissaient déjà – une vie remplie d’épreuves – pour l’élever sur un plan plus optimiste.

Et ces enseignements continuaient à évoluer. La déification de Kelsier, elle s’y était attendue ; même la vénération dont elle-même faisait l’objet était compréhensible. Mais d’où Demoux avait-il sorti la promesse que Vin mettrait fin aux chutes de cendre et ramènerait le soleil ? Comment lui était venue l’idée de prêcher de l’herbe verte et un ciel bleu, dépeignant ainsi le monde d’autrefois, seulement décrit dans une poignée de textes parmi les plus obscurs au monde ?

Il décrivait un monde étrange de couleurs et de beauté – un endroit étranger et difficile à concevoir, mais fabuleux malgré tout. Les fleurs et les plantes vertes étaient des idées nouvelles aux yeux de ces gens ; même Vin avait du mal à se les représenter, bien qu’elle ait entendu Sazed les décrire.

Demoux offrait aux skaa un paradis. Il fallait qu’il soit complètement éloigné de l’expérience ordinaire, car le monde ordinaire ne recelait aucun espoir. Pas à l’aube d’un hiver de famine, pas face à la menace des armées et au chaos du gouvernement.

Vin recula tandis que Demoux mettait fin à la réunion. Elle resta un moment étendue, s’efforçant de déterminer ce qu’elle éprouvait. Elle avait été presque certaine que Demoux était l’espion, mais ses soupçons paraissaient à présent sans fondement. Il était effectivement sorti la nuit, mais elle savait désormais à quelle fin. Par ailleurs, il s’était comporté de manière tellement suspecte lorsqu’il s’était faufilé hors du palais. Vin supposait, à la réflexion, qu’un kandra devait savoir comment se comporter d’une manière bien plus naturelle.

Ce n’est pas lui, songea-t-elle. Ou si c’est lui, il ne va pas être aussi facile à démasquer que je le pensais. Elle fronça les sourcils, de frustration. Enfin, elle soupira simplement, se leva et se dirigea vers l’autre côté du toit. OreSeur la suivit, et elle se tourna vers lui.

— Quand Kelsier vous a dit de prendre son corps, lui demanda-t-elle, que voulait-il que vous prêchiez à ces gens ?

— Maîtresse ? interrogea OreSeur.

— Il vous a dit d’apparaître comme si vous étiez lui-même, revenu d’entre les morts.

— Oui.

— Eh bien, qu’est-ce qu’il voulait que vous disiez ?

OreSeur haussa les épaules.

— Des choses très simples, Maîtresse. Je leur ai dit que l’heure de la rébellion était venue. Je leur ai dit que j’étais revenu – moi, Kelsier – pour leur donner l’espoir de vaincre.

Je représente la chose que vous n’êtes jamais parvenu à tuer, malgré tous vos efforts. C’étaient les derniers mots de Kelsier, prononcés alors qu’il faisait face au Seigneur Maître. Je suis l’espoir.

Je suis l’espoir.

Qu’y avait-il d’étonnant à ce que ce concept se retrouve au cœur de la religion qui se développait autour de lui ?

— Est-ce que vous deviez enseigner des choses du même genre de ce que Demoux vient de raconter ? insista Vin. Comme quoi la cendre arrêterait de tomber et le soleil deviendrait jaune ?

— Non, Maîtresse.

— C’est bien ce que je pensais, dit Vin, qui entendit alors un bruissement sur les pavés, un peu plus bas.

Jetant un coup d’œil par-dessus le bord du bâtiment, elle vit Demoux regagner le palais.

Elle se laissa tomber derrière lui dans la ruelle. À sa décharge, il l’entendit et se retourna vivement, la main sur sa canne de duel.

— Ne vous en faites pas, capitaine, dit-elle en se levant.

— Lady Vin ? demanda-t-il, surpris.

Elle hocha la tête et s’approcha de sorte qu’il puisse mieux la voir dans le noir. La lueur des torches en train de s’estomper éclairait toujours l’air par-derrière, et des tourbillons de brume jouaient avec les ombres.

— Je ne savais pas que vous étiez membre de l’Église du Survivant, dit-elle doucement.

Il baissa les yeux. Bien qu’il la dépasse de deux empans, il paraissait se ratatiner légèrement devant elle.

— Je… je sais que ça vous met mal à l’aise. Je suis désolé.

— Pas de souci. Vous faites quelque chose de bien pour le peuple. Elend appréciera d’entendre parler de votre loyauté.

Demoux leva les yeux.

— Êtes-vous obligée de lui en parler ?

— Il doit savoir ce en quoi croit le peuple, capitaine. Pourquoi voudriez-vous que je garde le silence sur ce point ?

Demoux soupira.

— C’est seulement que… je ne veux pas que la bande croie que je suis en train de flatter le peuple. Ham estime qu’il est stupide de prêcher la religion du Survivant, et lord Brise dit que la seule raison d’encourager cette Église, c’est de rendre le peuple plus malléable.

Vin le toisa dans le noir.

— Vous y croyez vraiment, n’est-ce pas ?

— Oui, milady.

— Mais vous avez connu Kelsier, dit-elle. Vous étiez avec nous pratiquement depuis le début. Vous savez qu’il n’a rien d’un dieu.

Demoux leva les yeux, un éclair de défi dans le regard.

— Il est mort pour renverser le Seigneur Maître.

— Ça ne le rend pas divin pour autant.

— Il nous a appris à survivre, à garder espoir.

— Vous surviviez déjà avant, objecta Vin. Les gens avaient de l’espoir avant que Kelsier se fasse jeter dans ces fosses.

— Pas comme maintenant, dit Demoux. Et puis… Il avait un tel pouvoir, milady. Je l’ai ressenti.

Vin garda le silence. Elle connaissait l’histoire ; Kelsier s’était servi de Demoux comme exemple pour le reste de l’armée lors d’un combat contre un sceptique, dirigeant ses coups grâce à l’allomancie et créant ainsi l’impression que Demoux possédait des pouvoirs surnaturels.

— Oh, je suis bien informé sur l’allomancie à présent, poursuivit Demoux. Mais… je l’ai senti exercer une Poussée contre mon épée, ce jour-là. Je l’ai senti se servir de moi, pour me rendre bien plus puissant que je ne l’étais. Je crois que je le sens encore parfois. Qui renforce mon bras, qui guide ma lame…

Vin fronça les sourcils.

— Vous vous rappelez notre première rencontre ?

Demoux hocha la tête.

— Oui. Vous êtes venue aux grottes où nous nous cachions le jour où l’armée a été détruite. J’étais de garde. Vous savez, milady – même à l’époque, je savais que Kelsier reviendrait. Je savais qu’il viendrait chercher ceux qui étaient restés fidèles et qu’il nous guiderait jusqu’à Luthadel.

Il s’est rendu aux grottes parce que je l’y ai forcé. Il voulait se faire tuer en affrontant seul toute une armée.

— La destruction de l’armée était une mise à l’épreuve, déclara Demoux en levant les yeux pour scruter les brumes. Les armées… le siège… en sont également. Pour voir si nous allons survivre ou non.

— Et la cendre ? demanda Vin. Où avez-vous entendu dire qu’elle arrêterait de tomber ?

Demoux se retourna vers elle.

— C’est ce qu’enseignait le Survivant, n’est-ce pas ?

Vin secoua la tête.

— Beaucoup de gens l’affirment, déclara Demoux. Ça doit être vrai. Ça s’accorde avec tout le reste – le soleil jaune, le ciel bleu, les plantes…

— D’accord, mais où avez-vous entendu parler de tout ça ?

— Je ne sais pas trop, milady.

Où avez-vous entendu dire que ce serait moi qui les ramènerais ? se demanda-t-elle, mais elle ne put se résoudre à formuler la question tout haut. Malgré tout, elle connaissait la réponse : Demoux n’en saurait rien. Des rumeurs se propageaient. Il lui serait désormais difficile de remonter jusqu’à leur source.

— Retournez au palais, dit Vin. Je dois dire à Elend ce que j’ai vu, mais je lui demanderai de ne pas en parler au reste de la bande.

— Merci, milady, répondit Demoux en s’inclinant.

Il se détourna et s’éloigna d’un pas pressé. La seconde d’après, Vin entendit un bruit sourd derrière elle. OreSeur venait de bondir dans la rue depuis les toits.

Elle se retourna.

— J’étais tellement sûre que c’était lui.

— Maîtresse ?

— Le kandra, dit Vin en se retournant vers Demoux en train de disparaître. Je croyais l’avoir découvert.

— Et ?

Elle secoua la tête.

— C’est comme pour Dockson – je crois que Demoux sait trop de choses pour faire semblant. Il m’a l’air… authentique.

— Mes frères…

— Sont très doués, compléta Vin avec un soupir. Oui, je sais. Mais nous n’allons pas l’arrêter. Pas ce soir, en tout cas. On va le garder à l’œil, mais je ne suis plus persuadée que ce soit lui.

OreSeur hocha la tête.

— Venez, dit-elle. Je veux passer voir Elend.

Le puits de l'ascension
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